La biennale Sélest’art est reconduite à l’automne et fait place à une nouvelle formule : une carte blanche dédiée à un artiste qui investira l’espace public.
Pour cette 22e édition, la ville de Sélestat a choisi d’inviter l’artiste Benedetto Bufalino. Ce dernier produit des œuvres spécifiquement pour le lieu où l’espace public qui l’accueille. Il aime investir l’espace urbain et jouer avec les façades, les places, les rues… Ses pièces dialoguent avec l’architecture et le contexte urbain. La ville de Sélestat deviendra donc à cette occasion son nouveau terrain de jeu.
« J’ai eu envie de proposer un projet ambitieux et marquant dont les Sélestadiens se souviendraient » Benedetto Bufalino
Né en 1982, Benedetto Bufalino vit et travaille à Lyon et Paris. Il est diplômé d’un brevet de technicien supérieur en architecture intérieure en 2003 et d’un diplôme supérieur d’arts appliqués en design d’espace à la Martinière à Lyon. Il est intervenu dans des lieux publics à Marseille, Genève, Bordeaux, Toulouse, Biarritz, Ljubljana, Singapour, Moscou, Montréal, allant même jusqu’à intervenir sur l’île Maurice. A noter, sa participation au Voyage à Nantes en 2016 avec la présentation de sa cabine téléphonique aquarium : remplie d'eau, elle accueillait de vrais poissons aux couleurs exotiques.
www.benedettobufalino.com
Benedetto Bufalino est, à sa façon particulière, un « arrangeur ». De même qu’un DJ s’empare de musiques déjà entendues pour en faire autre chose – un « mix », en l’occurrence –, cet encore jeune artiste ayant fait ses armes à Lyon et dans le design, lui aussi, « remixe » le réel. Une voiture de marque Seat modèle Ibiza évoque-t-elle l’été, la plage, l’art du farniente balnéaire ? Bufalino la réaménage de manière à la transformer en jacuzzi. Restons-en au registre automobile, qui a beaucoup inspiré l’artiste. Le moteur en fonctionnement d’une voiture, qui produit de la chaleur en abondance ? Il peut servir de barbecue, une fois surmonté d’une grille de cuisson. Une limousine de longue taille, du genre de celle qu’on affectionne pour les mariages à Las Vegas ? Celle-ci sera avantageusement ouverte, son toit découpé et ôté, et transformée en espace convivial urbain, tandis que les frustrés que nous sommes, à moindre coût, pourront s’offrir une Ferrari Testarossa – disons, un ersatz de la belle de Maranello – sous l’espèce d’un habillage de carton plus vrai que nature, absolument low cost, dont recouvrir la carrosserie de notre banal véhicule à quatre roues…
La fonction traditionnelle de l’artiste classique était de copier ou d’embellir le monde. L’artiste moderne, qui rêvait de révolution permanente, avait quant à lui pour ambition de créer des mondes. L’artiste tel que Benedetto Bufalino en incarne le modèle à la fois humble et exubérant, pour sa part, se donne pour mission de modifier l’ordre des choses. Une mission d’office plus raisonnable, à mi-chemin entre la soumission et le refus. Tout un chacun fera ce constat : nous vivons à l’ère de l’encombrement, il y a trop de choses, partout. Détruire dès lors est une option, sur le modèle de la « table rase » et du Destructive Art cher au regretté Gustav Metzger. Redistribuer, cependant, en est une autre, pour laquelle penche plus volontiers, en amoureux des objets, Benedetto Bufalino, et non la plus inopportune qui soit. Une cabine téléphonique, à telle enseigne, peut servir d’aquarium urbain ou être rendue mobile. Le toit d’une remorque de camion : le parfait espace pour installer un terrain de tennis. Une caravane sera élevée dans les airs grâce à un élévateur industriel aux airs de Colonne sans fin de Brancusi : hommage non dissimulé à la société du loisir et du nomadisme des transhumances vacancières, dont l’artiste célèbre ici une des icônes (à quand le camping-car monté sur un mat d’éolienne géante ?). La nuit venue, un camion à béton verra sa cuve rotative transformée en l’équivalent d’une boule disco, et des voitures garées le long d’une chaussée, une fois illuminé leur habitacle, se métamorphoseront en une puissante guirlande horizontale… Qui parle de se débarrasser de ce qui fait notre quotidien, ces objets d’accompagnement de nos vies, ces « choses », disait Georges Perec, qui ont fini par trouver une telle grâce à nos yeux qu’elles colonisent jusqu’à nos désirs de possession ? Plus avantageusement, l’artiste endosse à leur égard sa meilleure fonction, celle de transformateur.
Benedetto Bufalino, en termes génétiques, peut être considéré comme un représentant du détournement, dans le sillage duchampien et des situationnistes. Son territoire d’élection, l’espace public, en fait un artiste non de musée mais de rue, sur un modèle forain où le saltimbanque, las de traîner sa carcasse, aurait décidé de semer pour ses semblables, au creux du paysage, les signes d’une excentricité dynamique. Dynamique en quoi ? Les objets « plus » de Benedetto Bufalino ne font pas que modifier le territoire de notre quotidien, ils le réenchantent, le reconfigurent sur le mode d’une bonne blague qui est toujours l’occasion de laisser à penser. « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », dit le poète baudelairien. On peut aussi bien se contenter du réel et, sans obsession du sublime, viser le recyclage, en s’évitant la boue et l’or. Le monde ? Un chantier perpétuel à réagencer sans fin, ici aux libres mains d’un artiste-ouvrier aussi décontracté que facétieux, aussi inventif que contextuel, joueur mais respectueux de l’étant-donné.
Paul Ardenne est historien de l’art et romancier (dernières publications en date : Heureux, les créateurs ?, Roger-pris-dans-la-terre).
Du samedi 7 octobre au dimanche 12 novembre 2017. Gratuit
Vernissage le vendredi 6 octobre à 18h30 au square Ehm